Alors que j’étais élève au Séminaire Français à Rome, en 1917, un de mes amis, futur prêtre du Prado et bientôt sacré évêque, Mgr Ancel, décédé depuis un an, approfondissait avec moi-même et plusieurs amis le «Traité de la Vraie Dévotion» de Louis-Marie Grignion de Montfort. Nommé vicaire à la cathédrale de lyon en 1925, je réunissais une vingtaine de jeunes gens pour leur faire connaître le «Traité de la Vraie Dévotion».
A la même époque, tout à côté de Fourvière, dans une maison des Dames du cénacle, fondée par la future sainte Thérèse Couderc, une religieuse, appelée Mère Scat, originaire de lille, avait fait prêcher par un prêtre du diocèse, des conférences sur le «Traité de la Vraie Dévotion», le deuxième dimanche du mois, à 15 heures. Et voici que le prêtre qui assurait ces conférences étant tombé malade, la Mère Scat, qui avait entendu parler du vicaire de la cathédrale, envoya quatre membres de son groupe marial à Lourdes, pour demander à Notre Dame qu’il puisse assurer ces conférences à la place du prêtre malade. Leur pèlerinage terminé, elles sont venues me trouver d’un air bien innocent, pour me demander si je pouvais prêcher ces conférences.
«Mais, leur ai-je répondu, je suis très pris par mon ministère de vicaire, je ne peux vraiment pas».
Là-dessus, insistant, elles m’ont dit : «Mais au moins cinq ou six dimanches ?».
Je leur ai dit : «Allez demander à mon curé, le chanoine Gailland».
Celui-ci devait répondre : «Oui».
En fait de 5 ou 6 conférences, elles m’en ont fait prêcher cent, pendant 10 ans de suite, si bien que, plus tard, nommé sous-directeur de l’enseignement libre, devenant responsable des 852 écoles du diocèse de Lyon qui, à ce moment-là, comprenait également le diocèse de la Loire, je continuais à prêcher toujours ces conférences mariales.
Vers le mois de décembre 1935, une dame qui connaissait bien Marthe devait conduire Mlle Blanck auprès d’elle. Au cours de la conversation, Marthe lui demanda de lui procurer un portrait de la Sainte vierge, de préférence de Marie Médiatrice, pour le placer dans l’école de filles, fondée deux ans auparavant par le curé de Châteauneuf, l’abbé Faure. Mlle Blanck possédait précisément une grande gravure de Marie Médiatrice de toutes grâces. Rentrée à Lyon, elle la fit aquareller et encadrer, ce qui, désormais, en faisait un beau tableau ; mais il fallait l’emporter à Châteauneuf. Sachant que je prêchais des conférences mariales, il me fut demandé de porter moi-même ce tableau.
C’était le 10 février 1936.
« Marthe Robin, une âme d’élite… »
Arrivé à la cure, je saluai le curé qui me dit : «Voulez-vous voir ma paroissienne?»
«Qui est-ce ?» lui ai-je répondu.«Marthe Robin, une âme d’élite».
«Oh, lui ai-je répondu, je connais beaucoup d’âmes d’élite, parce que je confesse beaucoup de femmes».
«Oui, m’a-t-il dit, mais elle est d’une qualité supérieure».
Si bien qu’à 11 heures et demie, nous montions à la petite ferme où habitait Marthe, avec mon auto, mon tableau et mon curé.
Arrivés chez elle, l’abbé Faure entra directement dans la chambre de Marthe. Pendant ce temps, assise devant la grande table de la cuisine, je voyais Mme Robin, la maman de Marthe, qui préparait le repas de midi. Son père était assis sur une chaise avec un orteil blessé : accident du travail. le curé tardant à sortir, j’enlevai les ficelles, puis les papiers qui enveloppaient le tableau. Enfin, sortant de la chambre de Marthe, l’abbé Faure m’a dit : «Marthe demande que vous apportiez vous-même ce tableau». J’ai cru que j’amenais la Sainte Vierge. En fait c’est elle qui m’amenait auprès de Marthe.
Celle-ci admira beaucoup le tableau et nous fîmes ensemble une prière. Je suis alors descendu déjeuner à la cure, étant bien convenu que je remonterais la voir, à 2 heures de l’après-midi.
« Notre conversation devait durer trois heures de suite »
Je remontais tout seul auprès de Marthe pour «ma visite», à 14 heures, aux premières vêpres de Notre Dame de Lourdes. Notre conversation devait durer trois heures de suite.
Pendant la première heure, Marthe me parla uniquement de la Sainte vierge. J’ai dû constater qu’elle connaissait bien mieux la Sainte vierge que moi qui, cependant, la faisais connaître au cénacle depuis plusieurs années.
Dans la deuxième heure, changeant de ton, elle me parla des événements douloureux et heureux qui allaient se produire. Je passe sur les événements douloureux. voici ce qu’elle me dit sur ces événements heureux. Elle m’annonçait notamment une Nouvelle Pentecôte d’Amour qui serait précédée d’un profond renouveau de l’église, et marquée d’un grand élan missionnaire où de nombreux laïcs s’engageraient dans cet apostolat.
«Mais qui formera ces laïcs ?»
«Dans beaucoup d’endroits, me répondit-elle, notamment dans les Foyers de Lumière, de Charité et d’Amour». Pour la première fois, j’entendais cette appellation. J’ai compris plus tard que la lumière était l’enseignement du prêtre qui devait nous mener à Dieu Amour. Mais pour cela, il faut d’abord pratiquer la charité fraternelle. c’est ce que nous avons résumé, en les appelant : Foyers de charité.
« Monsieur l’abbé, j’ai une demande à vous adresser de la part de Dieu… »
Il était 16 heures… Marthe, me regardant avec assurance, me dit :
«Monsieur l’abbé, j’ai une demande à vous adresser de la part de Dieu : c’est vous qui devez venir à Châteauneuf pour fonder le premier Foyer de Charité».
Dans ma surprise, je lui ai répondu : «Mais, je ne suis pas du diocèse !».
«Qu’est-ce que cela peut faire puisque Dieu le veut !».
«Ah ! excusez-moi, je n’y avais pas pensé ! Mais pour faire quoi ?».
«Bien des choses, me dit-elle, notamment pour prêcher des retraites.»
«Je ne sais pas faire !»
«Vous apprendrez.»
«Des retraites de trois jours ?»
«Non, me répondit-elle, car en trois jours on ne change pas une âme. La Sainte Vierge demande cinq jours pleins.»
«Mais à qui s’adresseront ces retraites ?»
«Pour commencer, à des dames et jeunes filles.»
«Mais, entre chaque conférence, lui ai-je répondu, j’organiserai des carrefours pour que les retraitants puissent échanger leurs impressions ?»
«Non, non, m’a-t-elle dit, la Sainte Vierge demande le silence complet.»
«Comment pourrai-je demander à des femmes de garder le silence pendant cinq jours ?»
Elle me dit : «Mais puisque Dieu le demande…»
«Ah! excusez-moi, je n’y avais pas songé.»
J’ai donc dû accepter.
« Quelle aventure ! »
«Où prêcherai-je ces retraites ?»
«Pour commencer, dans l’école de filles.»
«Est-elle préparée pour cela ?»
«Non, m’a-t-elle dit, il faudra beaucoup l’aménager.»
«Mais qui réalisera ces travaux ?»
«C’est vous-même.»
«Mais avec quel argent ?»
«Ne vous tourmentez pas, la Sainte Vierge y veillera.»
«Comment pourrai-je faire venir des retraitants dans ce village inconnu ?»
«C’est la Sainte Vierge elle-même qui vous les enverra.»
«A quelle date devrai-je prêcher cette première retraite ?»
«Le lundi 7 septembre pour la terminer le dimanche suivant».
«Je ne puis refuser, mais encore dois-je demander l’autorisation de mes supérieurs.»
«Ah oui ! vous devez vous mettre dans l’obéissance.»
Sortant de la chambre de Marthe, je pensais : «quelle aventure ! », mais la foi n’est-elle pas souvent une aventure ?…
« Marthe Robin, elle est d’Eglise ! »
Immédiatement, je quittai Châteauneuf, emmenant avec moi le Père Faure, pour l’accueillir à Lyon à la Direction de l’Enseignement.
Dès le lendemain, 11 février, fête de la première apparition de la Sainte vierge à Bernadette, nous célébrions la messe à Fourvière pour les Foyers de lumière, de charité et d’Amour.
Dans la matinée, j’allai trouver mon supérieur, Mgr Bornet, responsable des écoles chrétiennes du diocèse, qui m’écouta attentivement et me répondit :
«Mon cher ami, vous devez accepter».
Même réponse du vicaire général, Mgr Rouche.
Quant à mon Père spirituel, le R.P. Albert valensin, s.j., professeur de théologie aux Facultés catholiques de Lyon, spécialiste des états mystiques, il m’arrêta dès mes premières confidences : «Marthe Robin, je la connais. Mgr Pic, l’évêque de Valence, m’a conduit auprès d’elle ces derniers temps, et j’ai pu m’entretenir avec elle durant trois heures. Marthe Robin : Catherine de Sienne, elle est d’Eglise. Je serai toujours avec vous pour vous aider, vous soutenir et à l’occasion vous défendre. Marchez !»
Encouragé par cette réponse catégorique, je partis pour Valence rencontrer Mgr Pic, qui m’accueillit les bras ouverts.
« C’est ainsi que je reçus le nom de père… »
Le 7 septembre au soir, 33 retraitantes sont arrivées, dont une cousine du comte de Paris, deux professeurs de Lyon qui devaient rester ici comme premières vocations : Marie-Ange Dumas et Hélène Fagot ; d’autres personnes de Lyon et des environs.
Le 8 septembre, fête de la Nativité de la Sainte Vierge, tombant un mardi, c’est ce soir-là que l’abbé Faure monta porter la communion à Marthe ; je lui ai demandé de l’accompagner. Au moment où Marthe allait se confesser, car elle portait les péchés du monde entier, son curé s’apprêtant à le faire lui-même, elle l’arrêta et lui dit : «Non, pas vous, mais le Père !» De même pour la communion. c’est ainsi que je reçus le nom de père que je partage aujourd’hui avec tous les pères des Foyers de charité. »