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        Pape François
         (Discours préparé par le Pape pour la rencontre de Carême avec les prêtres de Rome - 27 février 2020 - liturgie pénitentielle - L'amertume)
Seconde cause d’amertume: les problèmes avec l’évêque
Je ne veux pas tomber dans la rhétorique ni chercher le bouc émissaire, ni même me défendre ou défendre ceux de mon entourage. Le lieu commun, qui voit dans les supérieurs les fautes de tout, ne tient plus. Nous avons tous des failles, petites et grandes. Au jour d’aujourd’hui, on a l’impression de respirer une atmosphère générale (pas seulement entre nous) de médiocrité diffuse, qui ne nous permet pas de nous accrocher à des jugements faciles. Mais le fait est que beaucoup d’amertume dans la vie du prêtre vient des omissions des pasteurs.
Nous faisons tous l’expérience de nos limites et de nos manques. Nous sommes confrontés à des situations dans lesquelles nous nous rendons compte que nous ne sommes pas préparés de manière adéquate… Mais en montant progressivement vers des services et des ministères de plus grande visibilité, les carences deviennent plus évidentes et font plus de bruit; et c’est aussi une conséquence logique que, dans cette relation, il y a un grand enjeu, dans le bien et dans le mal. Quelles omissions? Il ne s’agit pas ici des divergences souvent inévitables sur les problèmes de gestion ou les styles pastoraux. Cela est tolérable et fait partie de la vie sur cette terre. Tant que le Christ ne sera pas tout en tous, tout le monde cherchera à s’imposer à tout le monde! C’est l’Adam déchu qui est en nous qui nous joue ces tours.
Le véritable problème qui rend amer, ne sont pas les divergences (et peut-être pas non plus les erreurs: un évêque a aussi le droit de se tromper, comme toutes les créatures!), mais plutôt deux motifs très sérieux et déstabilisants pour les prêtres.
Avant tout, une certaine dérive autoritaire soft: on n’accepte pas ceux qui parmi nous pensent différemment. Pour un mot, on est relégué dans la catégorie de ceux qui rament à contre-courant, pour un «distinguo» on est inscrit parmi les mécontents. La parrhésie est enterrée par la frénésie d’imposer des projets. Le culte des initiatives se substitue à l’essentiel: une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu Père de tous. L’adhésion aux initiatives risque de devenir le critère de la communion. Mais elle ne coïncide pas toujours avec l’unanimité des opinions. Et on ne peut pas non plus prétendre que la communion soit exclusivement unidirectionnelle: les prêtres doivent être en communion avec leur évêque... et les évêques en communion avec leurs prêtres: ce n’est pas un problème de démocratie, mais de paternité.
Dans sa Règle — au célèbre chapitre iii — saint Benoît recommande que l’abbé, lorsqu’il doit affronter une question importante, consulte la communauté tout entière, y compris les plus jeunes. Puis il poursuit en répétant que la décision ultime revient uniquement à l’abbé, qui doit tout disposer avec prudence et équité. Pour Benoît, ce n’est pas l’autorité qui est remise en question, bien au contraire, c’est l’abbé qui répond devant Dieu de la conduite du monastère; mais il est dit que, pour décider, il doit être «prudent et équitable». Le premier terme, nous le connaissons bien: prudence et discernement font partie du vocabulaire commun.
L’«équité» est moins habituelle: équité veut dire tenir compte de l’opinion de tous et sauvegarder la représentativité du troupeau, sans faire de préférences. La grande tentation du pasteur est de s’entourer des «siens», des «proches»; et ainsi, malheureusement, la réelle compétence est supplantée par une certaine loyauté présumée, sans plus distinguer entre celui qui fait plaisir et celui qui conseille de manière désintéressée. Cela fait beaucoup souffrir le troupeau qui, souvent, accepte sans rien extérioriser. Le Code de droit canonique rappelle que les fidèles «ont le droit et même parfois le devoir de donner aux pasteurs sacrés leur opinion sur ce qui touche le bien de l’Eglise» (can. 212 par. 3). Certes, en ce temps de précarité et de fragilité diffuse, la solution semble être l’autoritarisme (dans le domaine politique, cela est évident). Mais la véritable sollicitude — comme le conseille saint Benoît — repose sur l’équité, et non sur l’uniformité[1].
[1] Un deuxième motif d’amertume provient d’une «perte» dans le ministère des pasteurs: étouffés par des problèmes de gestion et par des urgences de personnel, nous risquons de négliger le munus docendi. L’évêque est le maître de la foi, de l’orthodoxie et de l’«ortopathie», de la juste manière de croire et de sentir dans l’Esprit Saint. Dans l’ordination épiscopale, l’épiclèse est priée avec l’Evangéliaire ouvert sur la tête du candidat et l’imposition de la mitre redit extérieurement le munus de transmettre non pas les croyances personnelles, mais la sagesse évangélique. Qui est le catéchiste de ce disciple permanent qu’est le prêtre? L’évêque, naturellement! Mais qui s’en souvient? On pourrait objecter que les prêtres, en général, ne veulent pas être instruits par les évêques. Et c’est vrai. Mais ceci — même si c’était le cas — n’est pas un bon motif pour renoncer au munus. Le saint peuple de Dieu a droit à avoir des prêtres qui enseignent à croire; et les diacres et les prêtres ont le droit d’avoir un évêque qui, à son tour, enseigne à croire et à espérer dans l’Unique Maître, Chemin, Vérité et Vie, qui enflamme leur foi. En tant que prêtre, je ne veux pas que l’évêque me satisfasse, mais qu’il m’aide à croire. Je voudrais pouvoir fonder en lui mon espérance théologale! Parfois, on se limite à suivre uniquement les confrères en crise (et c’est bien) mais les «ânes en bonne santé» auraient aussi besoin d’une écoute plus ciblée, sereine et en dehors des urgences. Voici donc une seconde omission qui peut provoquer de l’amertume: le renoncement au munus docendi à l’égard des prêtres (et pas seulement). Des pasteurs autoritaires qui ont perdu l’autorité d’enseigner?

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Jésus disait à ses disciples : "Mon commandement, le voici : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai Aimés." (Jn 15, 12)